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Alain PEYRACHE

 

 

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" J'ai rencontré Alain PEYRACHE pour la première fois en 1986, alors que je suivais régulièrement les stages de Maître TAMURA. C'était à Chalon sur Saône, à l'occasion de la venue de Moriteru UESHIBA, petit fils du fondateur O sensei Morihei UESHIBA.

Alain, que je ne connaissait pas, m'a invité à travailler avec lui et j'ai ressenti une manière de travailler qui correspondait à mes attentes de l'époque. Cette manière de travailler m'aidait d'une part à comprendre ce que j'essayais d'apprendre avec Maître TAMURA et d'autre part différait significativement avec les enseignements d'autres professeurs que j'avais pu rencontrer par le passé. Son engagement à mettre en place une organisation indépendante des fédérations sportives et à appliquer le concept "un maître, un dojos", essentiel pour le développement d'un aikido conforme à la tradition du fondateur, m'ont convaincu. J'ai ainsi été l'élève d'Alain Peyrache pendant plus de 30 ans. Aujourd'hui, alors que je retrouve une totale indépendance, ce que j'ai pu vivre de mes rencontres avecTamura Senseï inspire mes recherches et mon travail en direction des mes élèves.

 

Jacques FAIVRE

 

 

 

AIKIDO-JOURNAL_4.pdf - Entretien avec Alain PEYRACHE par Horst SCHWICKERATH

 

Interview 1 Alain PEYRACHE

 

Interview d'Alain Peyrache Ecrit par Ivan BEL, Aïkidoka Magazine, le 19-10-2007

Tags : ALAIN PEYRACHE, EPA, ISTA, INTERVIEW

 

N'aimant pas trop se mettre sous les projecteurs des médias, nous avons eu de la chance de pouvoir interviewer Alain Peyrache, le directeur technique de l'EPA/ISTA. Malgré nos questions parfois un peu piquantes, il ne se départit jamais de sa bonne humeur, de son sens de l'humour et de son franc parler. Une interview ébouriffante, comme un grand bol d'air frais.

 

Aïkidoka magazine : Alain Peyrache bonjour. Vous enseignez l’Aïkido depuis de nombreuses années. Pouvez-vous nous dire si, malgré votre expérience, vous continuez toujours à apprendre ?

 

Alain Peyrache : Pas davantage que vos lecteurs, vous n'ignorez que dans le mot "Aïkido", le"do" final renvoie à la réalisation, à l'accomplissement de soi-même. Cela posé, comment quelqu'un d'équilibré pourrait prétendre avoir fini ?

 

A.M. : Comment définiriez-vous l’Aïkido ?

 

A.P. : La signification du terme "Aïkido" est plus ou moins connue. Je pense que ce n'est pas l'objet de votre question. Je dirais que l'Aïkido est l'expression d'un art oriental. Sa culture est donc totalement étrangère aux repères, aux modes de fonctionnement que pourrait avoir un occidental, un Français par exemple. Nous n'avons pas d'équivalent dans notre culture. Pour me faire comprendre, je peux partir du caractère martial : pour un occidental, un art de combat qui cherche l'unité au lieu de la dualité, c'est pour le moins paradoxal, ou au minimum original. C'est la raison pour laquelle l'étude de l'Aïkido est enrichissante : elle nous apporte une autre vision de nous-mêmes qui n'a rien à voir avec notre éducation d’occidentaux.

 

A.M. : À votre avis, comment peut-on parler d’art de la paix alors que, au bout du compte, il s’agit de mettre l’adversaire hors de combat ?

 

A.P. : Je l'ai rappelé en répondant à votre première question : le but de l'Aïkido est la réalisation de soi-même. Si cette réalisation est effective, elle aura pour résultat un pratiquant équilibré, maître de lui-même, connaissant ses limites et la place qu'il doit occuper. À partir de là, si une majorité d'individus partagent cette façon d'être, un conflit n'a aucune raison de se manifester. La technique n'est que l'outil qui permet d'arriver à ce résultat. Si vis pacem, para bellum : si tu veux la paix, prépare la guerre. Ce principe, valable également au niveau d'un Etat, a son équivalent dans la médecine orientale où l'on dit que "c'est la faiblesse qui appelle l'invasion".

 

La technique n'est donc qu'un outil. Comme tel, lorsqu'on a fini de s'en servir on le range : il n'a plus aucune utilité. Le bol qui vous sert à manger la soupe correspond à la technique qui vous permet de « mettre l’adversaire hors de combat. » Si tous les bols sont différents, par leur forme, leur matière, leur contenance, ils ont un unique point commun : le vide. C'est ce vide qui permet de boire la soupe. Le "do" tient également du vide, du non-manifesté. Vous pouvez donc, pour tenter de connaître le bol, mesurer sa contenance, mais ce faisant, vous ne comprenez pas la vraie nature du "do", qui peut s'apprécier, mais qui ne s'évalue pas.

 

Permettez-moi de filer une autre métaphore : une arme est un outil. Entre les mains d'un policier, elle contribuera au maintien de l'ordre public. Dans celles d'un militaire, elle favorisera la défense d'un pays. Avec elle, un bandit menacera ou tuera d'honnêtes gens, un dictateur asservira son peuple, faisant régner l'arbitraire et la terreur. L'arme joue ici un rôle bien moins important que l'usage qu'on en a. Que faites-vous avec cet outil qu'est l'Aïkido ? Vous essayez de rester sur la Voie, vous vous occupez en autonomie de vos élèves ? Comment guider les pas de quelqu'un sur la Voie quand on n'est pas soi-même autonome, lorsqu'on suit des instructions émises par telle ou telle autorité extérieure au Dojo ? Même aux yeux du débutant, les incohérences de l'enseignant dans ce domaine auront des conséquences techniques visibles. Le débutant doit choisir son professeur avec soin : le plus sympathique, celui qui pratique dans le plus joli Dojo, celui qui est entouré des plus jolies filles ? Celui qui fait reposer son choix sur ce genre de critères n'a aucune chance de pratiquer un jour un véritable Aïkido.

 

Les techniques d'Aïkido ont ainsi des manifestations visibles, gestuelles possiblement très diverses. Ce n'est pourtant pas cela qui importe, mais le non-manifesté, le non-visible qu'elles véhiculent.

 

Si la finalité de l'Aïkido consistait à mettre l'adversaire hors de combat, on ne pratiquerait pas un Budo mais un jutsu, un ryu. La voie de l'aïki est la réalisation du do. Vous constaterez que la plupart des pratiquants l'ont oublié. Dans le cas contraire, comment en viendraient-ils à se quereller

incessamment pour des histoires de grades ou de fédérations ? C'est pour cette raison qu'un professeur d'Aïkido fait reposer son jugement sur les actes, non sur les discours. Vous me permettrez de vous le rappeler : Le but de l'aïkido n'est pas de vaincre les autres, ce qui est facile, mais de se vaincre soi même. Le combat est fini avant d'avoir commencé. Ces propos ne sont-ils pas ceux du fondateur ?

 

Regardons l'Aïkido français : qui applique ces préceptes ? Qui tente d'imposer des idées personnelles qui n'ont aucun rapport avec l'Aïkido du fondateur ? Quels aïkidokas cautionnent cela par leur adhésion ? En vous appliquant sincèrement à mener à bien ces quelques observations, vous saurez qui fait de l'Aïkido, qui suit la voie et les enseignements du fondateur de l'Aïkido.

 

Une des premières choses que l'on apprend dans les arts orientaux, c'est que la qualité ne se mesure pas mais qu'elle s'apprécie. Pour répondre à votre question, on est donc bien au-delà de l'art de combat. L'Aïkido tient de la philosophie. Comme cela ne doit pas correspondre à une simple connaissance intellectuelle mais s'enraciner profondément dans le vécu, le pratiquant doit évoluer au fur et à mesure de la maîtrise de son art, qui devient ainsi un art de vivre.

 

A.M. : Dans votre approche de cet art martial, quel est l’accent que vous mettez dans votre enseignement, ce qui vous paraît primordial ?

 

A.P. : Lorsque vous construisez une belle maison, quelle est la partie qui vous semble primordiale ?

Les fondations, la charpente, les murs, etc. ? Chaque pièce a son importance et doit être à sa place pour que le résultat soit harmonieux : c'est, en somme, la signification du « aï » de Aïkido. Pris hors de son contexte, aucun de ces éléments n'a de sens.

 

A.M. : Quelle place donnez-vous au travail des armes ? Est-ce un plus ou une nécessité pour bien pratiquer l’Aïkido ?

 

A.P. : Lorsque vous entrez chez un artisan, par exemple un garagiste, vous êtes surpris par le

nombre d'outils et d'appareils nécessaires à l'exercice de son métier. En Aïkido, il existe de même de multiples situations de travail qui sont autant d'outils au service de l'artisan, ou de l'artiste, puisque l'Aïkido est un art et non un sport, qu’est le professeur d'Aïkido. Si l'artisan est consciencieux et compétent, il prendra l'outil adapté au problème qui lui est posé. C'est à cela qu'on reconnaît sa compétence. Les armes sont des outils que j'utilise lorsqu'ils sont les mieux adaptés à la situation pédagogique qui se présente. Elles répondent à tel ou tel besoin spécifique. Nul artisan ne peut exécuter correctement avec un outil unique tous les travaux qu'il est amené à traiter.

 

Ce qui importe, c'est ce que vous faites de votre outil, ce que vous faites de votre sabre. Si vous êtes un antiquaire orientaliste réputé, ou un physicien spécialiste du diagramme fer-carbone de Roozeboom (NDLR : diagramme établissant la température de trempe en fonction du taux de

carbone, en métallurgie), c'est très bien. Mais en quoi cela améliore-t-il votre Aïkido ? Les plus grands

spécialistes de ces questions sont ignares en Aïkido, et les pratiquants d’Aïkido qui les caricaturent sont, eux, ridicules.

 

C’est l’erreur courante : "Le sage montre la lune avec son doigt, l’imbécile regarde le doigt". 80% des gens le font car c’est la voie la plus facile à suivre, celle qui donne l’impression d’être savant, qui ne demande aucune formation, aucune compétence. Or, dans les budos traditionnels, le cœur de l'apprentissage consiste à rompre avec ses illusions, à trancher dans le vif des apparences. En exploitant la bêtise, on peut bien entendu s'enrichir. Certains le font sciemment dans ce but, pour satisfaire leur soif de reconnaissance ou de pouvoir. D’autres le font parce qu’il y a un public pour les mystifications : le nombre sert souvent de caution (ils sont nombreux à croire ceci ou cela, donc ça

doit être vrai). Ce n’est pas la voie que choisit le professeur d’Aïkido. "Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi !" disait Cocteau.

Ce n'est pas la voie qu'a choisi maître Ueshiba. Aucun visionnaire ne l'a jamais empruntée. Jésus, Socrate ou Galilée ont fait de grandes choses : tous étaient radicalement non-conformistes, au prix parfois de leur vie, et aucun d'entre eux n'a sacrifié ses convictions sur l'autel de sa tranquillité, pour vivre en sécurité, ou pour asseoir le chaland-consommateur dans son désir de confort. Bien sûr, en raisonnant ainsi, on peut crier au risque de croiser des illuminés, des gourous : il faut toujours rester vigilant, en éveil. Encore une fois, ce qui fait la différence, c’est le jugement. Comme sur le champ de bataille, dont le tatami est la métaphore : celui qui n’a aucun jugement a toutes les chances de mourir très vite.

 

A.M. : Parlons un peu de votre organisation, l’EPA (Ecole Européenne d'Aïkido). Pourquoi à un moment donné de votre parcours en Aïkido, vous avez senti /avez-vous senti le besoin de créer votre école ?

 

A.P. : Je crois pourvoir dire que je connais en profondeur tous les rouages des structures fédérales,

leurs limites et leurs effets pervers, puisque après avoir été membre d'un certain nombre d'entre elles depuis 1971 (ACFA*, UNA**, FFLAB***), j'ai été amené à occuper en leur sein un certain nombre de postes-clés : membre du comité directeur, de la commission technique, de la commission pédagogique, du comité national des grades, jury au diplôme d'État, responsable technique régional et national, etc.

Pendant une vingtaine d'années, mon unique préoccupation fut de permettre et d'obtenir le développement de l'Aïkido tel qu'il a été conçu par le fondateur. Je n'ai pas ménagé mes efforts, et

cet objectif est passé au premier plan : comme ce fut le cas pour nombre de mes collègues, chacun le sait, ce ne fut pas sans affecter d'autres pans de ma vie, les aspects familial, financier, professionnel, par exemple. Mais au fil des ans, l'évidence a fini par se manifester - c'est la rançon du

développement de la discipline, auquel j'ai pris une part pour le moins active : tout effort devenait inutile, puisqu'à chaque fois qu'un pas était fait, il était effacé le lendemain par tout un tas de gens, d'administratifs, de fédéraux. Mon travail s'avérant vain, j'ai pris la décision d'arrêter de perdre mon

temps pour ne plus me consacrer qu'à mes propres élèves. J'ai donc démissionné pour ne redevenir

qu'un simple professeur de Dojo.

Combien en ont fait autant ? Je suis ainsi resté quelques années à m'occuper de mon Dojo et faire des « stages » privés pour mes élèves. Ceux-ci, même parmi les membres du Comité Directeur de la fédération que je venais de quitter, en vinrent à me demander de créer une autre fédération où on pourrait se regrouper. Si on reproduit une structure, si on conserve son fonctionnement en se contentant de changer les personnes en place, on obtiendra le même résultat, leur répondais-je systématiquement.

Si "le journalisme mène à tout à condition d'en sortir", il en est de même de l'Aïkido fédéral. N'étant plus formaté par le système, avec le recul, j'ai pris conscience des dérives et des incohérences par rapport à l'Aïkido, par rapport à ce qui m'avait séduit dans cette discipline, m'avait convaincu, à ce qui avait suscité chez moi le désir d'une si longue exploration. Nous étions parvenus à l'opposé des objectifs que nous étions fixés : ces incohérences, comme tout le monde peut le constater, sont aujourd'hui à leur paroxysme. Dans les structures fédérales, même à l'intérieur de mon propre Dojo, j'étais auparavant contraint à un fonctionnement contraire à mes connaissances, à mes convictions d'aïkidoka. Pire, par mon adhésion je cautionnais ce système que je réprouvais. Je vais enfoncer une porte ouverte mais le verbe "adhérer" signifie "se déclarer partisan d'une idée, d'une doctrine" - idée de soutien, de militantisme - ou "s'unir étroitement" - c'est l'adhésion physique, liée à la colle, à la glu. L'acte d'adhésion est la manifestation d'un parti pris très fort, pas un geste consommateur sans conséquence. Comme j'avais démissionné de toutes mes responsabilités pour ne pas cautionner des dérives, je me retrouvais au point de départ. Et puisqu'il n'était pas question de reproduire les mêmes erreurs, il m'a fallu environ quatre ans de réflexion, de méditation, d'action, pour créer l'EPA, c'est-à- dire une structure permettant un fonctionnement conforme à la pratique de l'Aïkido.

 

A.M. : Sur quelle idée avez-vous basé la création de l’EPA ?

 

A.P. : Pour un pratiquant d'Aïkido, cette idée très simple se manifeste dans toute son évidence. Un véritable aïkidoka pratique dans un Dojo. Ce mot signifie littéralement « le lieu où l'on étudie la voie ». Il ne pratique pas dans un "club", et qu'on se comprenne bien : ce n'est absolument pas du chipotage terminologique, le mot "club" renvoie à un type d'organisation à l'exact opposé du Dojo.

La voie, « do » est la recherche de soi-même, donc de l'autonomie. Comment apprend-on l'autonomie

? En essayant d'être autonome… Si vous êtes assujetti, vous n'y parviendrez jamais, et vous ne ferez donc jamais d'Aïkido.

Qui peut vous apprendre à être autonome ? Votre professeur qui, lui, est un pratiquant d'Aïkido autonome : il est inconcevable qu'un professeur ne le soit pas, n'est-ce pas ? Quand vous fonctionnez à l'inverse de ce que vous devez faire pour atteindre l'objectif que vous fixez, quel est le résultat ? Je vous laisse répondre à cette question. Mais c'est pour ne plus jamais avoir à fonctionner à l'inverse que j'ai créé l’EPA.

Donc, pour répondre à votre question, le fonctionnement de l'EPA est celui d'un Dojo selon le principe japonais : « un maître, un Dojo ». Chaque professeur - comme tout professeur ailleurs qu'en France - s'occupe de ses élèves et pas de ceux des autres. L'EPA est donc le seul lieu où les professeurs gèrent en autonomie leurs élèves… comme au Japon et dans la très large majorité des autres pays. Ce système a maintes fois prouvé son excellence, puisqu'il a donné, outre le fondateur de l'Aïkido, les grands professeurs japonais dont se réclament beaucoup d'occidentaux, qui a aboutit à la naissance et le développement de l'Aïkido : aucun autre système n'a permis de tels résultats ! Et surtout pas les

50 ans d'Aïkido français.

 

A.M. : Techniquement parlant, en quoi votre style d’Aïkido se distingue de ce qui est enseigné à la FFAAA (Fédération Française d'Aïkido, Aïkibudo et Affinitaires) ou la FFAB (Fédération Française d'Aïkido et de Budo) ?

 

A.P. : Votre question me pose un problème. Je vais essayer de faire très court. Un pratiquant d'Aïkido traditionnel n'est jamais l'élève d'une fédération, mais il est toujours identifié comme étant l'élève d'un maître. Par exemple, de nombreux professeurs japonais se réclament d'être les élèves du fondateur de l'Aïkido. Personne de sérieux en Aïkido ne se proclame l'élève d'une fédération : ce serait un terrible aveu d'ignorance, d'incompétence : si on se prétend héritier de l'enseignement du fondateur, comment promouvoir ou - pire - tenter d'imposer des structures fédérales, qui n'ont aucun sens, sans se trahir ? Il faudrait au minimum commencer par s'attaquer à cette aporie !

 

En effet, dans tout Budo traditionnel, un élève demande un grade à son professeur, il ne lui viendrait jamais à l'idée de le demander à un autre professeur, voire à un inconnu. Quand un vrai professeur d'Aïkido traditionnel reçoit la demande de grade d'un pratiquant qu'il ne considère pas comme son élève, il ne peut que lui répondre : « Je ne connais pas votre pratique, je ne sais pas quelle est la nature de votre recherche, demandez donc à votre professeur ». Lors de mes débuts, j'étais souvent choqué par les enseignants japonais qui se refusaient à évaluer un élève qui n'était pas le leur. Ils étaient si compétents ! En réalité, ils avaient un avis, bien sûr. Mais, je l'ai compris plus tard, ce n'était pas leur problème. En restant à leur place vis-à-vis du collègue qui avait formé cet élève, ils témoignaient du respect à son égard. Ils ne prenaient pas une pose supérieure, hégémonique, omnisciente. Témoigner de sa compétence en Aïkido, c'est d'abord montrer que l'on sait où est sa place. Quel enseignant fédéral comprendrait aujourd'hui le sens de cette marque d'humilité ?

Il semble qu'en « Aïkido sportif », on ne procède pas ainsi. C'est même exactement l'inverse ! Or, que se passe-t-il lorsque qu'on ne respecte même pas les fondements élémentaires d'une pratique comme l'Aïkido ? Le même résultat que dans n'importe quelle autre activité. Comment des gens désireux de faire de l'Aïkido, ayant pratiqué avec de grands professeurs, en arrivent-ils à cela ?

 

Certains responsables fédéraux semblent conscients du phénomène, mais ils se dissimulent derrière la responsabilité d'autrui. "Ce n'est pas moi, c'est les autres, c'est le système, la société" : de l'école maternelle aux pires heures de l'histoire de l'humanité, la logique est la même (le policier a, sur ordre de sa hiérarchie, arrêté un juif, le conducteur du train a fait son travail, et l'ouvrier a fait marcher le crématoire sans savoir, dit-il, ce qu'il y avait dedans). En réalité la décomposition des responsabilités

dilue le libre arbitre individuel jusqu'à l'annuler totalement. C'est pourquoi on obtient les mêmes

justifications : "j'étais obligé, c'est la fatalité, c'est la faute du ministère", etc. Tout le monde cautionne en participant sans que personne n'assume les conséquences. Le pire, c'est que certains croient bien faire. Dans un apprentissage martial pourtant, on répète à l'envi que rien n'est plus lourd de conséquences qu'une erreur de jugement !

 

Le résultat est que l'image de la discipline est déplorable, au point même que parfois j'hésite à dire que je pratique l'Aïkido. Le mot, le signifiant est le même, mais pas le signifié, pas la réalité à laquelle il renvoie. Cela fait bien sûr le bonheur de disciplines concurrentes, bien moins intéressantes que l'Aïkido, et qui en profitent pour se développer. D’un art original, extraordinaire, on n'aura fait qu'un vulgaire sport de plus.

 

D'ailleurs vous remarquerez ce paradoxe édifiant : aucun des cadres fédéraux qui imposent ce fonctionnement n'y croit lui-même, car tous passent leur temps à se valoriser en se déclarant élèves de tel maître japonais ou de tel Dojo japonais. Jamais élèves de telle fédération ! Le pratiquant un peu censé y perd son latin, ou bien y perd son japonais. Comment peut-on passer 15 jours au Japon et revenir avec un diplôme japonais ? Il n’y a pas photo : entre un cinquième dan de Montcuq (un petit bourg du Quercy pourtant parfaitement respectable) et le même grade du Hombu Dojo de Tokyo, quelle différence, quel contraste dans le clinquant !

 

Votre question porte en réalité, je pense, sur la différence entre « Aïkido traditionnel » et «Aïkido- sportif franco-français». Pourquoi franco-français ? Tout simplement parce que cela n'existe qu'en France, heureusement. Si je peux répondre en ce qui concerne l’Aïkido traditionnel que j'étudie depuis plus de 40 ans, je suis totalement ignare en Aïkido sportif. Voilà pourquoi je peine à répondre à votre question… Le fondateur de l'Aïkido n'a-t-il pas dit : "l'Aïkido est l'inverse d'un sport" ? Quand on fonctionne dans un cadre sportif, qu'on a un label sportif etc., on fait tout simplement du sport et on ne peut pas se réclamer de l'enseignement du fondateur de l'Aïkido, à moins être schizophrène. Cela semble évident pour n'importe quel individu ne pratiquant pas l'Aïkido.

 

Si je vous dis que je fais évaluer par des jurys, composés de techniciens, sportifs, qui ne connaissent pas les candidats pour des raisons d'égalité républicaine, la "réalisation de la paix intérieure", "l’union des contraires", l'aptitude à percevoir "l'au-delà de la vie et de la mort", qu’allez vous penser de moi ? Vous allez me prendre pour un fou ? Un farfelu ? Un gourou ? Ou quelqu'un d'omniscient, omnicompétent ?

Comment fait-on pour évaluer cela ? À l'aide de jurys qui sont censés ne pas connaître le candidat, et disposant d'environ un quart d'heure pour le faire ! À part les régimes totalitaires, je ne connais personne ayant ce genre de pratique. Pourtant vous trouverez ci-joint l'extrait du journal officiel sanctionnant les examens d'État d'Aïkido : c’est donc l’objectif de la 2F3A et de la FFAB puisque c’est l’aboutissement de leur dernier compromis politique. Cette conviction, cette croyance est partagée par de nombreux individus : tous ceux qui adhèrent à ces fédérations, à ces structures, s'engagent à fonctionner ainsi et partager et promouvoir ce dogme.

 

Chacun ses croyances ! C'est l'avantage de la démocratie par rapport au fascisme qui cherche à imposer à tout le monde, même par la force, ses arguments délétères. S'ils sont heureux ainsi, moi cela ne me gène pas. Cela me gène simplement si on me dit qu'il faut que fasse de même, car c'est une entrave à mes libertés fondamentales, cela fait partie des droits de l'homme. Un de mes élèves, Jacques Bazin, s'est amusé à étudier la question en analysant les textes : je vous y renvoie.

Je n'ai aucun point commun avec cet « Aïkido-sportif-local », ni connaissance, ni compétence dans ce domaine, ni la moindre volonté d’étudier, de pratiquer ou d'enseigner cela. Cela ne m'intéresse pas,

ce n'est pas pour cela que j'ai pratiqué et que je continue à pratiquer l'Aïkido.

 

J'essaie modestement de continuer à progresser sur la voie que m’ont enseignée mes maîtres, qui étaient élèves du fondateur de l'Aïkido et tout aussi incompétents que moi dans les critères précédemment cités. Les évaluations, par exemple pour les grades, n'ont rien de comparables : si nous n'évaluons pas la même chose, c'est que nos objectifs sont fondamentalement différents. Nous ne pratiquons donc pas la même discipline.

 

L'autre partie qui me gêne est : « votre style d’Aïkido ». Je pense qu'en reprenant cette expression, qui tient du consensus mou, vous me tendez sciemment une perche, et c'est un clin d'œil sympathique dont je vous suis reconnaissant.

 

Il existe au niveau mondial plusieurs dizaines d'écoles d'Aïkido. La France, on l'a vu plus haut, essaie de créer et d'imposer sa version locale, normalisée, standardisée, qui n'existe nulle part en dehors de ses frontières. C'est une pratique sportive absolument normale : pour comparer les performances il

faut définir des conditions de mesure pour tout le monde ; on instaure de ce fait une norme. La norme,

c'est ce qu'il y a de plus pauvre, de plus inintéressant, mais cela peut être installé, contrôlé, imposé très facilement par une administration, qui ne craint jamais de vider les choses de leur substance. L'Aïkido n'est pas un sport mais un art, comme la musique, la peinture, etc. Imagine-t-on une fédération des musiciens qui imposerait ses vues musicales à tous les artistes français ? Une guerre fratricide s'ensuivrait !

 

Il n'est donc pas question de différents styles d'Aïkido en France. Ce qui existe dans le monde entier n'existera pas en France. Pourquoi ces différentes écoles ? Tout simplement parce que la pratique martiale japonaise se fait avec un maître, un artisan, qui développe son entreprise. Certaines de ces écoles ont développé des multinationales : leur PDG, le maître, est donc connu dans divers pays. C'est la qualité de l'enseignement de ce maître qui fait son succès.

 

Si nous regardons les différents élèves du fondateur de l'Aïkido, chacun exprime sa version de

l'enseignement qu'il a reçu. Ce qui est correct avec l’un n'est pas correct avec l'autre. Tous ont pourtant eu le même professeur. C'est cela qui est intéressant et riche, car cela implique et permet le respect de chacun : on choisit simplement son maître et l'Aïkido qui nous convient. Les gens qui n'auraient jamais fait d'Aïkido trouveront forcément le maître qui correspond à leur recherche. Vu sous cet angle, l'Aïkido n'en est-il pas plus riche et plus adulte ?

 

Le grade est-il un repère de compétence valable ? Non. Un sportif trouvera cela choquant, compliqué peut-être : il faut que tout le monde pratique la même chose, de la même façon, etc. : c'est le règne de la pensée unique. Il est vrai que lorsqu'on passe son temps à développer son corps et ses muscles,

on ne le passe pas à développer son cerveau. Imaginons notre musicien de la fédération française qui imposerait le rap et interdirait tout autre forme musicale… Toutes ces écoles différentes d'Aïkido ne sont pas des styles mais des niveaux de compréhension et de maîtrise de l'Aïkido différents d'un

individu à l'autre. Prenons un exemple scolaire : un élève de maternelle n'a pas un style différent d'un

étudiant universitaire, ils n'ont simplement pas le même parcours ni la même connaissance. Créer son style sous-entend qu'on a atteint au moins le même niveau d'études que le fondateur d'Aïkido, et que l'on décide d'orienter différemment cette pratique. Personne en Aïkido ne peut dire cela. Ce la reviendrait en effet à faire volontairement autre chose que ce qu'a enseigné le fondateur. Créer son style sans avoir atteint le degré de connaissance du fondateur d'Aïkido, c'est, de manière certaine, faire autre chose que de l'Aïkido.

 

Personnellement, je n’en suis pas encore là. J’essaie simplement et modestement de maîtriser ce qui m'a été appris.

 

A.M. : On sait que l’EPA possède une extension internationale appelée ISTA, pour répondre au succès grandissant de votre école. Pouvez-vous nous donner la clé de ce succès ?

 

A.P. : En créant l’EPA, notre volonté était de ne pas être franco-français mais européens, car l'Aïkido,

comme le disait récemment le consul du Japon à Lyon, n'appartient plus aux Japonais mais au monde. Il se trouve que mon enseignement intéresse d'autres enseignants venus de pays qui n'ont rien à faire de l'Europe. Nous sommes donc dans l'obligation d'avoir le même fonctionnement au niveau mondial.

 

Pourquoi une chose se développe et réussit ? Certainement que mon enseignement correspond à un besoin croissant.

 

A.M. : Petite question personnelle : que faites-vous quand vous n’êtes pas sur un tatami ?

 

A.P. : Tout ce que je ne peux pas faire à cause de l’Aïkido qui me prend beaucoup de temps : je

m'occupe de ma vie de famille, de ma vie sociale, culturelle, etc.

 

A.M. : Si vous aviez un message à faire passer auprès de nos lecteurs, quel serait-il ?

 

A.P. : Dans la vie, tout est une question de point de vue : chacun a le sien. Je n’ai donc pas de message à faire passer, ce serait présomptueux, et j’imagine, comme c’est mon cas, que chacun tient à son autonomie et donne le sens qu’il souhaite à sa vie. L’essentiel est d’être en harmonie avec soi- même car la vie est courte. Donner des conseils à des gens que je ne connais pas ? Ce n’est pas

mon style : je réserve cela à mes élèves lorsqu'ils me le demandent.

 

A.M. : Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps avec ce long échange