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Nobuyoshi TAMURA

 

Tamura Nobuyoshi naît le 2 mars 1933 à Osaka. Son père est professeur de Kendo. En 1953 il devient uchi-deshi de maître Ueshiba. A l’époque maître Ueshiba est à l’apogée de sa renommée. Il partage son temps entre l’Aïkikaï, Iwama et de nombreux voyages. Ses premiers élèves tels que Shioda ou Mochizuki sont déjà établis et ont leurs propres dojos, Toheï est aux Etats-Unis. A Tokyo et Iwama de jeunes pratiquants enthousiastes dépensent toute leur énergie à forger leur technique. Ils ont pour nom Chiba, Saïto, Yamada, Saotome, Kanaï, Sugano ou Nishio. Tamura Nobuyoshi passera 11 ans au côté de maître Ueshiba et sera l’un de ses plus proches disciples. Il l’accompagnera dans la majorité de ses déplacements et sera son partenaire privilégié en démonstration comme en attestent les nombreux films et vidéos de l’époque. Aujourd’hui Tamura senseï est reconnu comme l’un des plus grands experts d’Aïkido et il compte des dizaines de milliers d’élèves aux quatre coins du globe.

 

Une vidéo des enseignements d'un maître exceptionnel .

 

 

Paroles de Nobuyoshi TAMURA Shian :

 

« Les occidentaux veulent immobiliser, figer, normaliser, ce qui est dynamique. Mais lorsqu'on définit une chose, on s'aperçoit qu'elle se compose de plusieurs. Qui se décomposent elles-mêmes en plusieurs. Et ainsi de suite jusqu'à ce que, finalement, sans doute, on arrive à la partie la plus infime.

Mais on s'aperçoit alors qu'on a perdu la vue d'ensemble, et qu'on ne connaît absolument pas l'essentiel, la totalité. »

 

« Enseigner c'est apprendre, mais pour apprendre, il faut enseigner sincèrement »

 

« Certains s'entraînent assidûment mais refusent de pratiquer avec des débutants ou avec ceux qu'ils pensent "mauvais". Même s'ils progressent techniquement leur technique restera une technique prisonnière de la technique. N'oublions pas que l'aïkido n'est pas seulement la voie de l'unité corps-esprit mais surtout la voie de l'unité »

 

« Il est important de connaître les désirs des élèves, leurs besoins et ce qu'il est nécessaire de leur apporter Il faut unir son esprit à celui de ses élèves et faire en sorte de progresser ensemble en prenant bien soin de pratiquer avec joie et intensité. »

 

« Soyez reconnaissants de ce que votre position d'enseignant vous ai amené à réfléchir, à étudier, à progresser techniquement et spirituellement. Remercier encore les élèves qui ont rendu vos progrès possibles. »

 

« On ne peut pas dire que le bon professeur soit uniquement celui qui est plus fort physiquement que les autres ou celui qui possède de bonnes techniques. »

 

« Dire je vais travailler ikkyo ou shi ho nage dénonce une rupture avec le véritable sens de la pratique de l’aïkido où la technique doit naître du Ma ai au moment de l’attaque et engendrer le déplacement adéquat.. »

 

« Dans les dojos d’autrefois quand vous franchissiez la porte (Nyumon) vous scelliez votre engagement de votre sang, vous juriez de ne jamais trahir ni le maître ni la voie. »

 

« Voyez-vous, la loyauté est un principe fondamental du Bushido. Pourquoi ? Parce que la loyauté envers l’autre, c’est l’honneur envers soi-même. »

 

« Il est important de connaître les désirs des élèves, leurs besoins et ce qu'il est nécessaire de leur apporter . Il faut unir son esprit à celui de ses élèves et faire en sorte de progresser ensemble en prenant bien soin de pratiquer avec joie et intensité. »

 

« Même au mah-jong ou aux échecs, on fait en sorte de cacher son jeu à l'adversaire. De même, il n'est pas de nation qui dévoile ses forces, sa stratégie à l'adversaire éventuel. Autrefois, lors de la pratique du Budo, les techniques étaient classées en kuden,hiden, okugi, et n'était enseigné qu'à des disciples choisis. »

 

« Avec le sabre, on utilise migi hammi. Avec le jo ou à mains nues la garde de base (fondamentale) est la garde à gauche hidari hammi. »

 

« O’ senseï n’enseignait pas de katas à deux, que ce soit à Iwama ou au Hombu dojo ? Non. Il n’enseignait pas même ikkyo ! Parfois, quand l’envie lui prenait, il donnait une correction, expliquait hitoemi, des choses comme cela. »

 

« Comment doit-on frapper avec le jo ? O’ senseï faisait généralement glisser le jo, c'est une façon de frapper très différente du Jodo. Lorsque je frappe, je vrille mes mains dans un sens opposé l'une à l'autre. »

 

« Qui a appris l’aïkido pendant un jour, peut l’enseigner pendant un jour... »

 

« Un débutant isolé, sans partenaire, au bord du tapis, est la preuve que l'éducation des anciens du dojo n'a pas été faite. »

 

« Il est grotesque d'avoir à dire « respectez moi car je suis votre sempaï », « placez moi sur un piédestal car je suis votre maître ».

 

« Considérer le premier venu comme un élève pour la seule raison qu'il a réglé sa cotisation procède d'une démarche mesquine qui ne finit pas d'inquiéter de la part d'une personne qui a la charge de guider les autres sur la voie. »

 

« Il faut vaincre son esprit de colère, esprit de paresse, esprit de peur etc.… le plus grand danger est l'orgueil ! »

 

« La technique est un outil pour arriver à l’homme. « Elle n’est pas importante mais si vous la supprimez il n’y a plus d’aïkido »

 

« Rei se traduit simplement par « salut ». Rei englobe en plus les notions de politesse, courtoisie, hiérarchie, respect, gratitude… »

 

« Sans la technique on ne peut rien trouver, mais lorsqu’on a trouvé elle n’a plus de sens. »

 

« Il faut corriger les défauts techniques et spirituels de ses élèves comme s'ils étaient vos enfants, comme s'ils étaient vous-même, les aider à avancer dans une direction juste et s'y consacrer corps et âme »

 

«  Ce qui importe ce n'est pas la force d'exécution mais l'adéquation au principe. La technique que seul un homme fort peut exécuter n'a pas d'intérêt général. »

 

« Kokyu ryoku doit donner vie, chez le pratiquant d’aïkido, à un geste aussi simple que lever un bras ou avancer un pied »

 

« Sans kokyu ryoku la forme de la technique peut exister mais elle n’est qu’une forme vide. »

 

« Kokyu ryoku compris intellectuellement est inutilisable. Il faut l’apprendre par le corps dans l’exercice de tous les jours ; il ne s’assimile qu’après un travail d’empilage.
O Sensei dit à ce sujet : « un travail de trois jours n’est qu’un travail de trois jours, un travail d’un an n’est qu’un travail d’un an, un travail de dix ans engrange la force de dix ans »

 

« Le travail du jo, en aïkido, vient de la lance. Au départ, bien avant la naissance de l'aïkido, c'est pour son habileté à la lance qu'O senseï fut connu et invité à Tokyo. Je ne l'ai jamais vu faire, mais on raconte qu'il était capable de déplacer des sacs de riz de soixante kilos avec la pointe de sa lance ! »

 

« Il est impossible de pratiquer le Budo dans un dojo où le débutant montera tranquillement sur le tapis sans même s'être présenté au professeur et où les anciens laissent faire comme si cela ne les regardait pas. »

 

« Le respect envers le sempaï ne doit pas être provoqué. Le kohaï doit tout naturellement avoir envie de respecter le sempaï. Le sempaï, lui, prend soin du kohaï car le kohaï occupe la place qui est la sienne et mérite par-là que l'on s'occupe de lui. »

 

« Pour chaque être, connaître sa juste place, c'est se connaître soi-même. »

 

« N'oubliez pas qu'à l'instant où surgit l'idée que votre technique est bonne, tout progrès cesse. »

 

  « Reigi étiquette et l'expression du respect mutuel à l'intérieur de la société. On peut aussi le comprendre comme le moyen de connaître sa position vis-à-vis de l'autre. On peut donc dire que c'est le moyen de prendre conscience de sa position. »

 

« Dans le flot constant du monde, s'arrêter un instant, c'est prendre un retard impossible à combler.»

 

« Dans le Dojo, il faut toujours être propre. […]  Le Keikogi, le Hakama ne doivent en aucune manière indisposer les autres. Le Dojo doit être aéré. […] »

 

« Réjouissez-vous des progrès techniques, du développement physique et spirituel de vos élèves ! Réjouissez-vous de ce que l'entraînement quotidien n'ai pas apporté son lot de blessures et de heurts ! »

 

« C'est par un enseignement fondé sur une compréhension juste et clair du principe que l'on peut guider les élèves sans errements. »

 

« Traditionnellement, non seulement dans l'aïkido mais dans le monde du Budo en général, les démonstrations n'étaient pas publiques.»

 

« Sans passer par les techniques, il est impossible de s’imprégner de kokyu ryoku. En outre les résultats seront différents selon que vous y croyiez ou non. »

 

« Pourquoi hitoemi est la garde fondamentale en aïkido ? Parce que hitoemi permet de se mouvoir facilement face à n’importe quelle attaque et, de là, de pratiquer toutes les techniques et de les assimiler. »

 

« Est-ce O’senseï qui a créé les katas tels que Ichi no tachi ? Ce sont des créations de Saïto senseï. O’senseï montrait le ken de shochikubai, mais n’enseignait pas de katas tels quels. »

 

« Y a-t-il des points communs entre le Jo de l’aïkido et celui du Jodo ? Non, ils sont très différents. Il semble que les techniques de yari soit à l’origine du jo tel qu’on l’utilise en aïkido. Et c’est vrai que l’on retrouve un peu le même type de mouvements. En fait, O’ senseï pratiquait avec les armes comme s’il avait les mains vides, et à mains nues comme s’il était armé… »

 

« Comment doit-on frapper avec le jo ? O’ senseï faisait généralement glisser le jo, c'est une façon de frapper très différente du Jodo. Lorsque je frappe, je vrille mes mains dans un sens opposé l'une à l'autre. »

 

« Enseigner c'est apprendre, mais pour apprendre, il faut enseigner sincèrement. »

 

« Dans la pratique, aussi longtemps qu’il y aura 2 mouvements dans son esprit, aïkidokas sera dans la situation d’apprentissage. Le jour où il sentira et comprendra qu’omote et ura ne font qu’un, il aura réalisé un des objectifs de l’aïkido : l’unité. »

 

« Doit-on pratiquer le jo d'un seul côté ou en alternant les gardes à gauche et à droite ? Les deux sont possibles. Mais généralement la garde au jo est l'inverse de celle du ken. Cela permet de développer notre corps de façon équilibrée et harmonieuse. »

 

« L'enseignant devra se consacrer à créer une ambiance de travail telle que, même hors de sa présence, les élèves les plus gradés ou les plus anciens y prêtent la plus grande attention et agissent en ce sens. Cette éducation se fait tous les jours. En fait, une telle atmosphère doit s'établir dans le dojo sans qu'on ait besoin d'intervenir en ce sens. Il est indispensable que chacun puisse mettre en pratique ces bases de comportement. »

 

Extraits d’une interview de Tamura Nobuyoshi.


Bonjour senseï. Quelle est la différence entre le Budo et le Bujutsu ?


Au départ les techniques sont nées à la suite de l’analyse de combats victorieux. C’est ainsi qu’ont été créés les premiers kumitachis (enchaînements de sabre à deux). On a découvert que tels mouvements permettaient de faire face à tel type d’attaque. Petit à petit les techniques ont été rassemblées afin de créer un chemin qui pouvait être emprunté par l’entraînement. Mais bu a un sens différent selon les personnes. Pour certains il s’agit d’un force destructrice, pour d’autres c’est une force de paix. Jutsu signifie technique et do signifie voie. Etudier un jutsu c’est apprendre une technique qui sert à accomplir un but, dont l’utilisation est une finalité en soi. Etudier un do c’est suivre un chemin vers l’homme qui est en nous. Un chemin que chacun peut emprunter et qui a été créé pour pouvoir être suivi par tous. C’est cette idée qui est aussi à la base du shintoïsme ou du bouddhisme. Maintenant malheureusement nous sommes souvent loin de cette idée d’origine…
Si on ne connaît pas l’environnement spirituel du budo on apprend juste une technique de combat. C’est pourquoi je pense qu’il est plus facile de comprendre l’Aïkido si l’on étudie l’esprit qui sous-tend la culture japonaise.


Il est donc nécessaire selon vous de connaître la culture japonaise pour comprendre l’Aïkido ?
Ce n’est pas indispensable mais cela permet probablement d’aller plus vite, c’est un fait indéniable. Si on prend simplement l’exemple de la langue, pour un japonais, même débutant, shiho nage est assez explicite. Et lorsqu’il entend le nom de la technique cela précise son application physique. Il comprend que c’est une projection dans les quatre directions, peut facilement en déduire que cela signifie symboliquement toutes les directions et pénétrer plus profondément le sens de cette technique. Lorsqu’on traduit irimi en français cela devient « entrer » mais cela reste assez vague et il est difficile de s’appuyer sur ce mot pour comprendre la technique. C’est la même chose pour hitoemi, ou sankakuho. Un japonais comprendra souvent instinctivement ce que signifient ces termes car ils sont associés à des kanjis (idéogrammes) qui ont un champ d’expression à la fois vaste et subtil.
Ne vaut-il mieux pas que celui qui veut étudier la littérature anglaise apprenne l’anglais plutôt qu’il se limite aux traductions françaises de Shakespeare ? (rire)

 

 


Vous enseignez dans de très nombreux pays, de la France au Japon, des Etats-Unis au Maghreb. Changez-vous votre manière d’enseigner selon l’endroit où vous êtes ?


Chaque pays possède sa propre culture mais tous les élèves essaient de pratiquer l’Aïkido qui est une seule et même voie où que l’on aille. De mon côté j’essaie de présenter les choses sous le jour le plus compréhensible à chacun. Il n’y a pas tant de différences. J’essaie simplement de répondre aux questions que se posent les pratiquants et de voir les points qui doivent être corrigés. Selon l’endroit ces points varient mais l’essence de l’Aïkido reste la même.
Bien sûr il est parfois nécessaire d’expliquer certains détails culturels. Par exemple dans les pays musulmans certains élèves rechignent à faire le salut en seïza. Je leur explique alors qu’il ne s’agit au Japon que d’une forme de salutation, un signe de respect et de gratitude.
Récemment dans un stage de hauts gradés (à partir du quatrième dan) une personne restait debout pendant que je donnais des explications assis. Au Japon on prendrait cela pour un défi. En occident lorsqu’une femme ou un personnage important arrive on se lève. Les personnes les plus importantes sont donc celles qui sont assises. Au Japon c’est le contraire, les personnages importants sont ceux qui sont debout. Ce sont de petites choses mais dont le sens est le contraire et qui peuvent vous donner l’impression que la personne qui vous fait face veut vous offenser alors même que ses intentions sont opposées. Et si elles ne sont pas comprises elles peuvent très facilement être mal interprétées et donner lieu à un incident. Ce type de malentendu se dissipe dès que les choses sont expliquées. C’est pourquoi je crois qu’il est important de connaître la culture de l’autre.
En effet, aujourd’hui au Japon les sports de combats sont beaucoup plus populaires que les voies martiales.
C’est vrai. Dans ces sports que l’on dit sans règles et où l’on autorise à frapper comme ceci ou comme cela il n’y a pourtant pas de véritable danger. La notion de vie et de mort est totalement absente de ces disciplines. Auparavant un samouraï qui combattait ne serait-ce qu’avec un bokken risquait la mort. Leur shugyo, leur entraînement, les habituait à vivre dans des situations à la frontière entre la vie et la mort et cela fait toute la différence. Aujourd’hui les sportifs sont prêts à tout, allant jusqu’à tricher et se doper pour gagner une médaille. Les jeunes d’aujourd’hui ne pratiquent plus le budo et ils ne savent même pas ce que c’est. Les personnes qui ont créé les budos ont aujourd’hui disparues depuis longtemps et je me demande parfois s’il est encore possible de sauver ces voies. Heureusement il existe aujourd’hui encore quelques personnes telles que maître Kuroda ici et là au Japon qui préservent cet héritage. C’est grâce à ces personnes que ces voies survivront sans doute. Lorsque le Japon est entré dans l’ère Meïji après le bakumatsu les budo avaient aussi presque disparus pendant quelques dizaines d’années. Et à l’époque il n’existait pas de vidéos et très peu d’écrits qui de plus étaient incompréhensibles sans clés.


En Aïkido le travail des armes est-il important ?


C’est Osenseï qui a créé l’Aïkido. Et à chaque fois qu’il démontrait l’Aïkido il utilisait les armes. Ce n’est pas à nous, ses disciples et élèves, de décider ou pas si il faut pratiquer les armes. C’est sans doute un travers français que de tout questionner. Au Japon on se ferait immédiatement traiter d’idiot si on remettait ce fait en question.


Est-ce qu’Osenseï utilisait les termes Aïkiken ou Aïkijo ?


Il n’utilisait pas de mots particuliers. Il prenait simplement une arme et pratiquait avec. Il utilisait à l’occasion l’expression « shochikubai no ken » (le sabre de pin, bambou et prunier). Le pin, matsu, le bambou, take, et le prunier, ume, sont au Japon des symboles de prospérité et de bonheur. Le pin symbolise la longévité et l’endurance car il reste vert durant toute l’année. Ses « feuilles » sont séparées en deux comme le in (yin) et le yo (yang), mais unis et représentent ainsi le concept de musubi (harmonie, lien). Le bambou symbolise à la fois la force et la souplesse et pousse dans un élan plein d’énergie vers le ciel. Quand au prunier il fleurit dans la période la plus froide, la plus hostile des saisons et symbolise les difficultés que l’on arrive à surmonter. Osenseï ne donnait pas d’explications techniques détaillées mais faisait vivre ces concepts dans sa pratique du sabre.
A l’époque nous ne comprenions rien et essayions seulement de reproduire ses gestes, tâchant de voir quels déplacements il faisait, quels gestes ses mains réalisaient. On comprenait encore moins lorsqu’on lui faisait face car on était absorbé dans son énergie et on avait l’impression d’être absorbé ! En regardant on croyait parfois à une mystification. Et à cet instant Osenseï se retournait et vous fixait. Peut-être était-ce simplement parce que nous avions un air coupable au moment où il tournait la tête. (rires) Mais il était très fort pour entendre toutes les conversations et savoir ce qui se passait autour de lui.
Osenseï nous disait d’attaquer et on était soudainement frappés ou coupés. Même en le regardant avec toute notre attention on ne comprenait pas comment il avait pu exécuter telle ou telle technique. On essayait mais on se retrouvait toujours à être coupés ! Comme vous étudiez avec des personnes qui ne comprenaient pas il est naturel que vous ne compreniez pas non plus. (rires) J’en suis vraiment désolé.
 

Quelle est l’origine des techniques d’armes de l’Aïkido ?


Osenseï a créé les techniques de ken de l’Aïkido sur la base de sources diverses et de recherches personnelles. Takeda Sokaku était un combattant redoutable. Il gardait en permanence une canne-épée à son côté depuis que le port du sabre était interdit. Il était maître de Daïto-ryu mais aussi de sabre, notamment de l’école Ono-ha Itto ryu. Il enseignait principalement les techniques de Jujutsu à mains nues mais il devait probablement montrer des techniques d’armes occasionnellement. Mais à cette époque même si on voyait les techniques on ne pouvait pas demander de nous les enseigner. Par la suite Kisshomaru a étudié le Kashima shinto ryu. La fille d’ Osenseï fut aussi mariée à Nakakura Kiyoshi, un célèbre pratiquant de Kendo de l’époque qui deviendra un grand maître. Et ses élèves Sugino Yoshio et Mochizuki Minoru étaient aussi pratiquants de Katori shinto ryu. Qu’ils fussent ses amis ou ses élèves, Osenseï fut entouré tout au long de sa vie d’experts de sabre. Son art est le fruit de ses recherches et de ces rencontres qui lui ont permis d’introduire de nouveaux éléments, de transformer ce qu’il avait étudié en les ajoutant à ses créations personnelles. Lorsqu’on pratique le budo on voit dans les huit directions et on doit savoir saisir toute chose intéressante qui passe à notre portée. On doit garder les yeux grands ouverts et expérimenter ce qui semble intéressant, gardant le bon et rejettant l’inutile. C’est ainsi qu’il faut vivre. C’est ainsi que nous avons été éduqués par O sensei et nous étions en un sens encouragés à étudier, chercher et comprendre par nous-mêmes.


Est-ce Osensei qui a créé les katas tels que Ichi no tachi ?


Ce sont des créations de Saïto senseï. Osenseï montrait le ken de Shochikubai mais n’enseignait pas de katas tels quels.
Maître Kobayashi Hirokazu qui habitait à Osaka avait une grande expérience du travail des armes car il était un pratiquant avancé de Kendo. Il venait d’une famille aisée et a souvent été otomo (compagnon) du fondateur dans ses voyages. J’accompagnais Osenseï de Tokyo et Kobayashi senseï nous attendait à Osaka. Il nous emmenait dans d’excellents restaurants et j’étais vraiment heureux. (rires) Il m’a raconté qu’il avait souvent aidé Saïto senseï à corriger ce qu’il avait vu des mouvements du fondateur. A l’époque Osenseï enseignait par la pratique. On l’attaquait et il frappait. Soudain on recevait un coup et il nous disait que c’était évident si l’on faisait ainsi. C’était douloureux mais efficace. Kobayashi avait une grande expérience du sabre et son aide a été utile a beaucoup de disciples notamment Saïto senseï. Saïto senseï avait le désir de compiler toutes les techniques d’armes. Il a beaucoup aidé Osenseï qui possédait une maison à Iwama. Il était en même temps conducteur de train et cela a dû être très difficile pour lui. Nous on ne travaillait pas et on ne se consacrait qu’à l’entraînement, notre situation était bien plus facile que la sienne. C’était une époque difficile pour beaucoup de monde.


Osenseï n’enseignait pas de katas à deux, que ce soit à Iwama ou au Hombu dojo ?


Non. Il n’enseignait pas même Ikkyo ! Parfois quand l’envie lui prenait il donnait une correction, expliquait hitoemi, des choses comme cela. Mais il ne suivait pas de pédagogie au sens scolaire du terme avec des étapes établies. Nous on se demandait pourquoi il n’expliquait pas. (rires) On se disait que sans explications c’était normal que l’on n’y arrive pas. Mais il voyait les choses dans une perspective beaucoup plus large et plus élevée. Nous étions comme des enfants de maternelle écoutant une discussion d’universitaires et nous disant que nous ne comprenions pas totalement. Avec le temps on finit par comprendre certaines choses…

 

Qu'est-ce qu'un enseignant, quel type d'homme est-il ? Que doit-il faire ?

 

Cette question indéniablement a surgi avec le premier homme et ne disparaîtra qu'avec le dernier homme.

C'est la question posée à soi-même, à laquelle on répond soi-même et toujours, éternellement sans réponse.

Moïse est certainement le premier conducteur d'hommes de l'histoire que nous connaissons. Comment a-t-il amené son peuple d'Israël à travers le désert ? Qu'ont pu être ses pensées à ce moment-là ? Comment a-t-il pris sa décision ? Que s'est-il passé en lui, le Solitaire ? Indubitablement il y a deux sortes de conducteurs d'hommes ou d'enseignants.

Celui qui connaît le chemin qui conduit où il veut aller parce qu'il a déjà fait la route. L'autre qui connaît le but à atteindre mais pas le chemin qui y conduit.

Le premier c'est, par exemple, le guide en montagne : il connaît la route à suivre, chaque difficulté, chaque passage dangereux. Il amènera avec certitude son client à l'endroit désigné.

Le second, comme Moïse, obéit à une révélation divine. Il reçoit l'ordre d'aller et marche vers le but indiqué, dans l'ignorance du parcours, comme un groupe d'explorateurs à l'aventure dans l'inconnu; cependant que là encore il s'agit d'un groupe animé d'une volonté commune rendant de ce fait les choses plus faciles.

Par contre, Moïse, quant à lui, est seul. La moindre petite erreur ou faute de jugement compromet la vie de tous.

Le planning le plus complet (étudié, étudié, encore étudié), le training de chaque jour, le ravitaillement ont leurs limites; au delà de celles-ci c'est le trou noir, les ténèbres. La météo, les accidents, la maladie sont imprévisibles.

L'enseignant d'Aïkido est un conducteur d'hommes du type Moïse; c'est du moins mon opinion. Incontestablement, Maître Ueshiba était au sommet de l'Aïkido mais nous, de la vallée,nous le regardions au sommet de la montagne et nous n'avions de lui qu'une petite image. Moi-même, je crois marcher derrière O'Sensei, mais il suffit d'un petit arrêt, pour souffler par exemple, et O'Sensei s'est éloigné loin. Très loin. Je connais donc la route, je vois le chemin, mais il reste à faire, je ne le connais donc pas!

C'est un peu comme l'île au trésor des veilles cartes. Mais, sur les cartes d'aujourd'hui, l'île n'est pas indiquée en ce qui pourrait signifier qu'elle n'existe pas. Pourtant, vous savez qu'elle existe et qu'elle renferme un trésor. Fort de vos connaissances, vous vous mettez en route.

Dans ce cas, la responsabilité du capitaine est énorme. La mer, les courants, le temps autant d'obstacles qu'il faut surmonter. Malgré toute l'expérience que vous pouvez posséder, des difficultés inconnues se présenteront. Il faut, néanmoins, aller de l'avant, alors qu'apparaît la nécessité du jugement exact, de la décision à prendre, de l'union de tous dans le même sens.

Ce n'est qu'à cette condition que le but sera peut-être atteint. Nous avons essayé et mis ensemble toutes les forces humaines, la part qui reste est celle de l'intervention divine, ce qui veut dire que le départ pris, il ne reste plus qu'à aller de l'avant.

Le capitaine sera un être qui aura le courage de la décision; il sera expérimenté, intuitif, maintenant l'unité de l'équipage, lui-même et l'équipage ne faisant qu'un, comme le père et son fils, par exemple...

Le capitaine pense, doit penser comme l'équipage et l'équipage travaille dans le sens du capitaine; il ne peut en être autrement. Le capitaine saura alors donner les ordres qui conviennent, l'équipage comprendra son capitaine.

Le capitane et son équipage ne faisant qu'un réalisent l'harmonie du groupe et l'ensemble peut alors atteindre le but. Mais tout cela est l’oeuvre du capitaine.

Cela me rappelle le grand Maître de thé RUKYU qui avait coutume de dire parlant de la cérémonie de thé : «c'est comme en été un souffle d'air frais, une sensation agréable de fraîcheur; en hiver, une douce impression de chaleur, les charbons ne sont là que pour chauffer parfaitement l'eau, le thé que pour le plaisir de boire». Je vous donne le secret de lacérémonie de thé. Si vous pensez que c'est facile à réaliser, je vous conseille de le faire.

Cette chose ordinaire, banale, apparemment facile, naturelle à réaliser, est difficile. Pour contenter un hôte, à celui qui a soif, vousdonnez un grand bol avec beaucoup de thé léger et pas trop chaud; à celui qui n'a pas soif, un thé plus fort, en moindre quantité et chaud. Vous agissez ainsi pour le plaisir de vos hôtes. Il faut suivre le désir de l'hôte, le sentir. Cette disposition est le secret de la cérémonie de thé, c'est le coeur de l'enseignant d'Aïkido.

L'enseignant d'Aïkido connaît chacun des pratiquants et leur soif spécifique de connaissances. Si leur technique est bonne, il

s'attachera à l'améliorer, si elle est mauvaise, il va la rectifier. Son action va à la rencontre des déclarations du Maître de thé, comme une sensation agréable de fraîcheur en été, comme une douce impression de chaleur en hiver.


Lorsque vous pratiquez vous n’entrechoquez jamais les armes. Est-ce que Osenseï pratiquait aussi ainsi ?


On le voit dans les films. O senseï n’entrechoquait jamais les armes. Si les armes s’entrechoquent cela signifie que l’on bloque et on ne bloque jamais puisque cela signifie que l’on est coupé.


Quel type de bokken utilisait Osenseï ?


Saïto senseï a imaginé le bokken épais qui porte le nom d’Iwama. Osenseï utilisait généralement un magnifique bokken en kokutan (ébène) plutôt fin de type Yagyu. J’espérais qu’il me le donnerait un jour jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il l’avait donné à quelqu’un d’autre ! Il était très généreux et donnait facilement les choses. Osenseï utilisait sans doute autre chose étant plus jeune mais lorsque j’étais uchi-deshi il n’utilisait généralement que des bokkens légers. Il utilisait ce qui était à portée de main mais son bokken favori était long et fin, de type Yagyu shinkage ou Jiki shinkage. Sauf pour le tanren où là il utilisait un bokken lourd et épais. Tada senseï l’utilisait facilement d’un bras ! Il y a unecélèbre photo d’Osenseï avec une rangée de bokkens derrière lui. C’était ainsi lorsque je suis devenu uchi-deshi. Nous utilisions cette dizaine d’armes posées là.


Y a-t-il des points communs entre le Jo de l’Aïkido et celui du Jodo ?


Non, ils sont très différents. Il semble que les techniques de yari soit à l’origine du jo tel qu’on l’utilise en Aïkido. Et c’est vrai que l’on retrouve un peu le même type de mouvements. En fait O senseï pratiquait avec les armes comme s’il avait les mains vides et à mains nues comme s’il était armé…


Le sabre de l’Aïkido, du Kendo ou du Iaïdo sont-ils différents ?


Techniquement différents ils sont semblables dans leur essence. Malheureusement aujourd’hui le sabre du kendo ne coupe plus. En compétition il suffit de toucher. Le Kendo a en quelque sorte suivi l’évolution de l’escrime occidentale où l’on peut gagner en touchant un point non vital qui nous aurait exposé à un coup mortel dans un véritable combat. Ces disciplines sont devenues des jeux où l’on ne cherche qu’à toucher le premier. Le Kendo est la voie qui cherche le plus à préserver la tradition mais la compétition lui a fait perdre son essence de Budo. Le Judo a aussi perdu son essence qui reposait sur la souplesse. Aujourd’hui les compétiteurs ne connaissent que deux ou trois techniques qu’ils « forcent » même lorsque la situation n’est pas adaptée à ce type de technique. Cela permet de gagner des médailles… Ces disciplines ont été perdues par la volonté de gagner à tout prix.


Osensei pratiquait-il aussi le tanto dori ?


Je ne l’ai jamais vu faire. A l’époque les yakuzas se battaient toujours au couteau. Et un bagarreur a un jour demandé comment faire contre des attaques de ce type. Ce sont les sempais qui ont développé ce travail. C’était très spectaculaire pour les démonstrations.


Les techniques doivent-elles être pratiquées en décomposant les mouvements ou en un seul geste ?


Tout le corps doit bouger en harmonie. Un mouvement ne fonctionne pas s’il n’est pas continu. Cela peut sembler simple d’utiliser ses mains et ses pieds ensemble mais c’est une chose très difficile. Il ne faut pas que la compréhension devienne segmentation. Il ne faut pas que « wakaru » devienne « wakeru ». (c’est un jeu de mot où wakaru qui signifie « comprendre » devient wakeru qui signifie « diviser ») La pensée qui consiste à diviser les choses n’est pas efficace dans notre voie. Si vous désirez apprendre à faire du vélo et que vous divisez les mouvements pour les étudier indépendamment les uns des autres, apprenant d’une part à pédaler, de l’autre à diriger le guidon, et d’autre part encore à freiner, même en travaillant beaucoup vous ne saurez toujours pas faire de vélo ! (rires) Les techniques d’Aïkido fonctionnent de la même manière. Elles doivent être pratiquées, étudiées et comprises dans leur globalité. Si on les apprend en les décomposant il se produit inévitablement des décalages qui les rendent inapplicables. C’est une méthode d’apprentissage difficile mais qui n’a pas d’alternative et qu’il faut considérer comme inéluctable. En travaillant ainsi il subsiste bien sûr des décalages au départ mais un jour le corps comprend instinctivement et trouve la solution.


La pratique doit-elle passer par les étapes de kotaï, jutaï, etc… ?


Il y a des étapes comme cela. Mais il ne faut pas se tromper sur la signification de ces termes. Les mots français sont précis mais aussi limitatifs. Kotaï se traduit par travail solide mais il est généralement interprété par travail dur. C’est totalement incorrect. Dans ce travail solide la pratique doit être souple. De même que Jutaï qui se traduit généralement par travail souple ne doit pas être synonyme de complaisance. Ce sont des étapes que l’on peut comparer à la calligraphie où l’on apprend d’abord une forme très précise qui est la base avant de passer à un travail plus fluide et épuré. C’est aussi comme le corps. Au centre se trouvent les os. Puis vient la chair. Mais l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Les bases fondamentales doivent donc toujours être présentes même dans le travail en jutaï tandis que la souplesse doit être présente dès le début du travail en kotaï. Vient ensuite le travail en ryutaï et enfin celui du kitaï où l’on guide le partenaire dès que naît son intention.

 

Le concept d’enseignement traditionnel Shu Ha Ri s’applique-t-il aussi à l’Aïkido ?


Il s’applique à toutes les techniques traditionnelles, que ce soit dans le chado, la voie du thé, du kado, l’arrangement floral, etc... Toutes ces voies s’étudient ainsi et passent par ces étapes. Shu est l’étape où l’on suit scrupuleusement l’enseignement de son maître jusqu’à arriver à reproduire exactement les techniques. Une fois arrivé à ce niveau on essaye de voir ce que tel ou tel changement implique. On sort du moule pour continuer son étude. C’est ha. Finalement on dépasse les contradictions et le technique devient sienne. C’est ri. Mais aujourd’hui les gens veulent commencer par ri ! (rires) Ils n’arrivent pas à faire comme l’enseignant alors ils cherchent un autre chemin. Ils ne peuvent pas faire une chose alors ils en font une autre. Dans ce cas là mieux vaut faire autre chose dès le départ. Et si je corrige les gens me disent qu’ils ne peuvent pas le faire, que c’est impossible. Mais il est inutile de faire une chose que l’on peut réaliser facilement. L’étude consiste à essayer de faire quelque chose que l’on ne peut pas ! Il n’y a pas de raccourci.


Quand vous chutez on n’entend aucun bruit, contrairement aux chutes comme celles du Judo qui sont très sonores.

 

En Judo on nous enseignait à diffuser le choc en chutant ainsi. Mais en Aïkido on ne considère pas que l’on chute sur un tatami. Il faut imaginer que l’on chute sur des pierres. C’est donc pour ne pas se blesser qu’il est important de chuter souplement. Osensei faisait régulièrement des démonstrations et on devait parfois chuter sur du gravier. Plutôt que de faire du bruit nous cherchions à privilégier une chute souple. Par contre pour les démonstrations lorsque l’on pratiquait sur des tatamis on faisait volontairement de grandes chutes bruyantes pour impressionner le public. (rires)
On insiste généralement sur le travail du tori mais on explique peu celui du uke. Les ukemis et le travail du uke sont des mouvements qui servent à protéger le corps. Ce sont des choses que l’on doit comprendre seul. Et si l’on devient bon il est alors possible d’appliquer les contre-techniques, les kaeshi wazas.


Les exercices préparatoires que vous faites ont-ils un lien avec les techniques où ne sont-ils que des mouvements destinés à étirer et échauffer le corps ?


Avant je faisais commencer par Ame no torifune. Ensuite suivaient d’autres éducatifs tels que Ikkyo undo. Ce sont des mouvements que pratiquait O senseï et qui sont parfaits pour les jeunes. Les enfants les apprécient aussi beaucoup. Maintenant je suis âgé et je suis plus sensible à mon corps. Je ressens qu’il est bon de faire tel ou tel exercice selon le moment et je varie la préparation. Je le répète souvent mais ce sont des choses que j’ai découvertes avec le temps et qui me procurent un bien-être. Je pratique actuellement une sorte de gymnastique chinoise que je trouve très intéressante. C’est une proposition que je fais aux gens. Chacun doit chercher ce qui lui convient. On peut faire les exercices dans une optique de santé au départ mais petit à petit cela doit devenir un travail d’introspection sur le corps. Si on prête réellement attention à chaque geste un exercice que l’on croyait pratiquer correctement nous paraît difficile le jour suivant. Le corps est une chose extraordinaire et il faut apprendre à l’écouter. Lorsque je suis assis ainsi (maître Tamura prend alors une position avachie) je sens que l’énergie ne circule plus correctement. Lorsque je me tiens comme cela je me sens nettement mieux (maître Tamura s’assoit alors correctement avec un superbe shisei). Un geste juste est lié à une sensation agréable. Notre corps possède en lui la mémoire de la posture juste. Tout ce qui n’est pas naturel impose des contraintes au corps. Des positions qui peuvent nous paraître confortables superficiellement sont souvent incorrectes et ne permettent pas à l’organisme de fonctionner naturellement. Les positions les plus correctes sont les meilleures pour la santé. Elles n’utilisent aucune force et ne fatiguent pas quelle que soit la durée pendant laquelle on les maintient. Si votre shiseï est juste la respiration se pose et le corps se relâche. C’est pourquoi l’exercice de kokyu ho est extrêmement important. On y retrouve le même type de recherche que dans le zazen ou le yoga. Les budokas devraient avoir le maintien que possèdent les yogis ou les moines zen.


Aujourd’hui la pratique du Iaïdo connaît un essor considérable. Considérez-vous que cela aide à progresser dans la pratique de l’Aïkido ?


Lorsque je suis arrivé en France je faisais travailler avec le bokken, le jo et le tanto. Mais en n’utilisant que le bokken il est difficile de comprendre que cela vient de l’utilisation du sabre. A une époque j’ai alors demandé aux élèves qui présentaient le shodan de connaître quatre katas de Iaïdo. A l’époque je ne connaissais pas grand-chose et je me suis abîmé les coudes en pratiquant incorrectement. Les écoles que l’on dit traditionnelles telles que Omori ryu, Eïshin ryu etc… pratiquaient-elles ainsi par le passé c’est difficile à dire. J’aurai voulu pratiquer l’école de Kuroda senseï et apprendre à dégainer souplement d’un geste fluide et continu. Ne pas juste dégainer le sabre mais apprendre à utiliser le corps dans sa globalité.


Les atémis sont-ils importants dans la pratique de l’Aïkido ?


Osenseï nous disait « L’Aïkido est irimi et atémi. ». Mais si on dit ce genre de choses les élèves ne travaillent plus qu’irimi et les atémis ! Les gens sont ainsi. Le travail des atémis signifie que l’on peut toucher sans être touché. Si on effectue la technique de telle manière on risque de prendre un atémi, si on la fait ainsi on a l’opportunité de frapper quand on le désire, c’est cela le véritable esprit de l’atémi. Un jour un lutteur est venu et a saisi O senseï par derrière. O senseï a souri et lui a posé deux doigts sur les yeux en rigolant. Même sans s’entraîner les doigts pénètrent facilement les yeux qui ne peuvent être durcis. C’est en assistant à ce genre de scène que j’ai compris ce qu’O senseï voulait nous transmettre. Sinon on peut passer à côté et s’entraîner à frapper durement sur un makiwara. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait à l’époque. (rires)


Aujourd’hui il existe de nombreuses formes d’Aïkido. Est-ce une bonne chose ? Osenseï doit-il rester la référence ?


L’Aïkido est la création d’O senseï ! Les Shin Aïkido (nouvel Aïkido), Tamura ryu (école Tamura) ou autre n’ont pas lieu d’être. L’Aïkido c’est l’Aïkido. Le travail consiste à trouver comment faire pour arriver au niveau de pratique d’O senseï. La même tasse à thé vue de côté, par au-dessus ou en dessous à une forme totalement différente. Aujourd’hui, chacun persuadé d’être dans le vrai s’oppose aux autres à cause d’une vision partielle et va ainsi à l’encontre de l’enseignement d’ O senseï. Il faut ouvrir son coeur et voir que telle ou telle vision des choses peut aussi être intéressante. Il ne faut pas être enfermé dans ses certitudes. Même si les fondamentaux doivent toujours être respectés.


Une des origines de l’Aïkido est le Daïto ryu. Comment Osenseï a-t-il fait évoluer sa pratique ?


Au départ O senseï enseignait exactement le Daïto ryu. Puis petit à petit sa pratique a évoluée au fur et à mesure que se précisait sa conception de la vie, surtout influencée par ses convictions religieuses. Ces changements n’ont pas eu lieu d’un coup, ils ont été graduels et n’étaient parfois pas même visibles de l’extérieur. Son Ikkyo qui pouvait sembler identique vu de l’extérieur était sous-tendu par une intention différente.


Récemment Yamada senseï a écrit que vous aviez refusé le 9ème dan. Quelle en est la raison ?


O senseï nous avait dit que l’Aïkido c’était jusqu’au 8ème dan. Que le 8 était la fin d’un cycle qui nous ramenait au départ. Le 8 au Japon a un sens positif, son idéogramme a une forme d’ouverture. Après lui on revient au départ. C’est ce qu’il nous avait dit. Et c’est ce que j’ai expliqué à mon tour. On m’a ensuite proposé le 9ème dan du Japon. Ca m’a mis dans une position inconfortable. (rires) Je leur ai demandé de ne me le donner qu’à titre posthume. Malheureusement je les ai ainsi mis dans une position inconfortable à mon tour. Maintenant ils doivent faire patienter les pratiquants qui sont plus jeunes que moi et qui seraient sans doute heureux de devenir 9ème dan. Ils doivent se dire : « Pourquoi Tamura sempaï n’accepte-t-il pas ? » Ce n’est évidemment pas un problème par rapport au Doshu. C’est juste qu’il m’est difficile de dire à mes élèves que ce genre de choses a changé maintenant qu’on m’offre le 9ème dan ! (rires) Le Doshu est embêté et j’en suis vraiment gêné. Je voudrais vraiment qu’ils oublient cette affaire.


Que souhaitez-vous pour vos élèves ?


L’Aïkido est une voie qui permet de se découvrir soi-même et de se construire en tant qu’être humain afin de vivre une vie pleine et heureuse. Les élèves sont comme mes enfants. J’espère qu’ils soient en bonne santé et vivent heureux. Qu’ils trouvent le chemin du bonheur et puissent se retourner sur leur vie au moment de mourir en se disant que ça a valu la peine. C’est ce que je voudrais que les gens trouvent par la pratique de L'Aïkido.